Comment la Chine tisse sa toile médiatique en Afrique

Comment la Chine tisse sa toile médiatique en Afrique

Investissements massifs dans les infrastructures médiatiques, formation de journalistes africains en Chine, diffusion de contenus pro-chinois via divers canaux de communication… La stratégie chinoise pour façonner l’espace médiatique du continent soulève de sérieuses interrogations quant à ses véritables intentions.

Comment la Chine tisse sa toile médiatique en Afrique
Comment la Chine tisse sa toile médiatique en Afrique

Depuis des décennies, l’Afrique lutte pour se libérer des vestiges du colonialisme et affirmer sa souveraineté. Cependant, une nouvelle puissance semble prendre la relève, tissant discrètement sa toile d’influence sur le terrain médiatique africain : la Chine. Dans une ère où l’information est aussi cruciale que les ressources naturelles, la Chine semble avoir tracé une route claire vers l’influence en Afrique, non pas uniquement à travers ses investissements massifs dans les infrastructures, mais aussi via un canal moins visible et potentiellement plus pernicieux : les médias.

Selon une étude approfondie de Paul Nantulya, publiée par le Africa Center for Strategic Studies, la Chine déploie une stratégie sophistiquée pour façonner l’espace médiatique africain. Ce document révèle les méthodes et les implications de cette stratégie, soulevant des questions essentielles sur la souveraineté africaine et l’autonomie de nos États face à ce géant asiatique. La stratégie chinoise repose sur trois piliers principaux : le contrôle des infrastructures et des contenus, la formation des journalistes africains, et l’exportation de son modèle médiatique. En d’autres termes, la Chine cherche à modeler l’information diffusée en Afrique, à former les professionnels des médias selon ses propres normes, et à imposer progressivement sa vision d’un paysage médiatique « sain », où l’histoire de la Chine y serait “bien racontée”.

Contrôler des infrastructures médiatiques et des contenus

Le contrôle des contenus passe notamment par des accords de diffusion avec des médias africains, qui se voient contraints d’intégrer les contenus fournis par les agences de presse chinoises. Ces dernières, étroitement contrôlées par le Parti communiste chinois (PCC), véhiculent évidemment une vision pro-Pékin des événements mondiaux. De plus, la Chine finance la construction de studios de télévision et de radio dans plusieurs pays africains, renforçant ainsi sa mainmise sur les infrastructures médiatiques locales.

En particulier, Xinhua, le plus grand conglomérat médiatique chinois, joue un rôle de premier plan avec ses 37 bureaux à travers le continent. Ce réseau, surpassant toutes les autres agences de presse, africaines ou non, représente une augmentation massive par rapport aux rares agences présentes il y a vingt ans. Parallèlement, StarTimes, un autre géant chinois des médias, est devenu le principal acteur de la télévision en Afrique, derrière seulement la DSTV sud-africaine.

Outre les agences de presse chinoises, l’un des exemples les plus marquants de ce contrôle est l’expansion de China Global Television Network (CGTN). Avec des bureaux régionaux dans plusieurs grandes villes africaines, CGTN diffuse des nouvelles et des programmes qui mettent en avant les succès de la coopération sino-africaine tout en minimisant les aspects négatifs des politiques et actions chinoises, que ce soit sur le continent ou dans le monde. Cette présence médiatique permet à la Chine de contrôler le récit et de promouvoir une image positive de sa présence et de ses actions sur le continent.

Inculquer aux journalistes les valeurs du PCC

Parallèlement, des milliers de journalistes et professionnels des médias africains sont régulièrement invités en Chine pour des « voyages d’étude » tous frais payés et reçoivent un traitement de faveur qui vise à leur inculquer une vision positive du pays. Bien que les maîtres de stage chinois n’exigent pas explicitement une couverture pro-Chine, les attentes sont réelles, selon le journaliste kenyan Bob Wekesa, formé en Chine.

Il s’agit ni plus ni moins d’un endoctrinement visant à formater les esprits selon les intérêts chinois.

En exportant massivement ses chaînes de télévision, ses journaux et ses plateformes numériques en Afrique, la Chine impose progressivement son modèle médiatique autoritaire sur le continent. Un modèle diamétralement opposé aux idéaux de liberté d’expression et de pluralisme chers aux sociétés africaines (afrobarometer / FreedomHouse).

Selon Odindo, ancien rédacteur en chef du Standard Group, l’influence chinoise peut se traduire par des actions directes pour contrôler les récits médiatiques. Il raconte comment l’ambassade de Chine a annulé tous les contrats publicitaires avec son journal après des reportages jugés trop critiques. Cette pression a mis fin à un supplément bihebdomadaire financé par l’ambassade qui était crucial pour la survie financière du journal.

Créer un environnement médiatique favorable

Face à cette offensive tout azimut, les voix s’élèvent pour dénoncer les visées néocolonialistes de la Chine en Afrique. Bien que présentée sous un jour économique et culturel, cette stratégie médiatique cache en réalité un agenda politique clair : asseoir l’influence de Pékin sur le continent et y promouvoir son idéologie autoritaire.

La Chine cherche à façonner un environnement médiatique qui lui soit favorable en Afrique en contrôlant les contenus et en formant les journalistes selon ses propres normes. Cela constitue une menace pour l’indépendance et le pluralisme des médias africains, piliers essentiels de nos démocraties naissantes.

L’influence chinoise pose également la question de la liberté de la presse. Les médias africains, sous l’influence économique ou idéologique de la Chine, peuvent-ils vraiment rester libres ? Peuvent-ils critiquer ouvertement les actions du gouvernement chinois ou les projets controversés sans risquer des répercussions financières ou politiques ?

Une domination douce mais bien ancrée

 

Le travail de Paul Nantulya révèle que les apparences de coopération et d’aide au développement cachent en réalité une stratégie de domination douce, mais profondément ancrée. Le paysage médiatique africain se trouve ainsi à un carrefour critique. Les médias locaux, souvent sous-financés et vulnérables, doivent faire face à une influence étrangère croissante qui menace leur indépendance. En contrôlant l’information, la Chine peut façonner les perceptions et, à terme, les politiques africaines à son avantage, instaurant une forme de colonialisme moins brutal, mais tout aussi dangereux.

Xi Jinping, dans une déclaration marquante, a affirmé que « où que soient les lecteurs, où que soient les téléspectateurs, c’est là que les rapports de propagande doivent étendre leurs tentacules. » Cette vision se manifeste également par des actions plus insidieuses, comme l’utilisation de faux comptes pour amplifier la portée en ligne des contenus pro-chinois, ou encore la diffusion de désinformation pour soutenir des régimes africains favorables à Pékin. Nous ne pouvons pas remplacer un colonialisme par un autre. L’Afrique doit rester vigilante et préserver son indépendance médiatique, gagnée au prix de nombreux sacrifices. Nos médias doivent refléter nos propres réalités et nos propres voix, sans ingérence extérieure.

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